Dread (Lustmord) – In Dub

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Ant-Zen

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Brian Williams / Lustmord n’a jamais eu peur des clichés car il utilise, pour la plupart, ceux dont il a lui-même dessiné le contour. Il faut sans doute une sorte de complaisance pour s’adonner au plaisir d’écoute d’un disque estampillé dark ambient, car tout ce qui le caractérise alors, est le plus souvent l’exagération de son épithète « dark », la peur à outrance, l’obscurité trop peuplée, un noir trop noir, bref un grand guignol fin de siècle, ressassant les toquades romantiques, symbolistes et parnassiennes les plus évidentes. Voilà pour ce que publient aujourd’hui nombre de labels américains, anglais, suédois… Mais plongeons dans les abysses et voyons si l’eau y est si polluée.

Lustmord, né des suites industrielles de SPK, publie à ses débuts des disques dont l’obscurité se mélange d’abstractions bruitistes et mécaniques. Puis, avec Lagowki entre autres, il passe à l’encre du poulpe sa musique pélagique et crée cet univers où le fond de l’espace comme celui des fosses marines résonnent d’un même vrombissement à jamais nocturne, demeure naturelle du Léviathan.

Je n’ai jamais écouté un disque de Lustmord en lui adressant les reproches que l’on peut écrire en série à propos de ses épigones. Sa musique est matricielle, elle connait ses codes, ses habitus, ses pressions. Elle n’en déborde pas et son expressionnisme reste celui d’un maître sûr de sa mesure. Il sait la valeur archétypale des clichés qu’il a préparés, il sait en jouer.

S’intéressant ici au dub (donc à d’autres clichés), sous le nom de Dread, il n’oublie pas les leçons de ténèbres qu’ont écrites Bill Laswell (Dub Terror Exhaust) ou Scorn (Colossus), mais c’est la forme d’un dub plus conventionnel qui sert d’ossature (Lustmord reprend à son compte la phrase de Lee Scratch Perry « Dub is the ghost in me coming out ») ; jusqu’à l’image de l’éléphant qui est convoquée, symbolisant les basses les plus profondes.

Une fois cernées de telles figures tutélaires, il faut souligner l’originalité contextuelle de l’album qui va, plus que le reste peut-être, le caractériser : dans les crédits, B. Lustmord est responsable de : « The beast, the bass, the beat ». C’est désormais à Ennio Morricone (Il buono, il brutto, il cattivo / Le Bon, la brute et le truand) et à Il était une fois dans l’ouest qu’il faut penser jusqu’à voir effectivement surgir un pastiche de cette célèbre musique – version dub – sur le morceau Blood Into Dub, harmonica compris. Mais avant et après cela, tout au long de l’album, les basses naviguent dans l’encre, les arrachements gutturaux de la Créature planent en fantôme, le rythme dessine le déplacement latéral du crotale dans le sable. Et telle une signature, au-dessus de cette géométrie profonde, tellurique cette fois autant qu’ouranienne ou océanique, profitant de chaque bris de rythme, de chaque respiration étouffée, la vague inquiète en quoi Lustmord excelle, ce tissu de nuit habitée de forces primordiales, habit d’une batterie aux couleurs changeantes comme l’écaille au soleil trop chaud, cette haleine de la bouche d’ombre, appliquée de main de maître, de la main du maître.

Denis Boyer