Michael Begg – A Moon that Lights Itself

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Il y a, dans la musique de Michael Begg / Human Greed, cette fascination pour la nuit qui la situe comme un point de départ vers quoi tout souffle redirige. Cette nuit primordiale, qui habite en reflet sa musique, est un avant, un âge d’or que le piano et les cordes, les drones et parfois les voix évoquent en l’anamorphosant, à la façon dont les ondes tranquilles jouent avec les reflets d’or des lumières de la nuit à la surface de l’eau. Car il est aussi souvent question de lumière, de lumières, dans cette musique, sans quoi nous ne percevrions pas l’obscurité, car les étoiles fécondent la nuit, à la suite de leur mère la Lune.

Sur sa péniche, le Botin, le peintre Charles François Daubigny consacra dans les années 1870 des heures à la peinture nocturne. Ainsi que Corot, il peut être regardé comme un initiateur de l’impressionnisme, peintres tous deux de l’élémentaire dans le paysage envisagé comme le révélateur de l’émotion, de même que le romantisme l’avait fait miroir du sentiment. Sollicité par les Galeries nationales d’Écosse pour une composition autour de Daubigny, à l’occasion d’une exposition consacrée à ce peintre ainsi qu’à Monet et Van Gogh, Michael Begg s’est fait accompagner par la violoncelliste Clea Friend. A Moon that Lights Itself, issu de cette commande, est une œuvre qui porte plus que ses propres images, plus que sa propre nuit et les rêves qui la peuplent. C’est une nuit qui rêve les nuits de Daubigny. Ses respirations de piano, caractéristiques de la musique de Michael Begg s’embarquent véritablement sur le fleuve nocturne dès qu’elles s’accordent au violoncelle, distinguant au loin le pont de la péniche. Et l’on n’ose s’approcher, de peur de déranger. Le drame est posé, la nappe prend la place des notes déroulées, elle allume de son côté un petit falot, pour ne pas effaroucher le peintre de la péniche, l’avertir qu’il est en compagnie familière. Le bruit de l’eau, des palmipèdes parfois, prévient de la douceur physique de cette musique, de son imprégnation du temps et du lieu figurés. Alors, la bruine de piano et le fuseau de lumière bourdonnante tanguent doucement, s’effilochent dans les touches de couleurs, toujours rejointes par le bleu et le gris rabattu de la nuit. Curieusement, quand la réverbération du drone poignant – dont Michael Begg est devenu maître artisan – invoque une lumière sérieuse, la nuit ne s’en émeut pas et l’accueille chaleureusement dans son giron d’étoiles, admise à graviter autour de la Lune majestueuse. Ondulant ainsi et perdant l’auditeur dans le balancé moelleux des miroitements nocturnes, la musique de Michael Begg devient l’analogue sonore de la peinture pré-impressionniste de Daubigny, de la même façon que celle-ci donnait de la Lune sa seule image anamorphosée par l’eau.

Il n’en a pas fallu plus pour susciter chez Michael Begg le souhait de s’immerger plus profondément encore dans cette pâte synesthésique du XIXe siècle : on entend, dans la pièce The Birth of Modernism, un traitement très personnel de ce qu’il convient de considérer comme le tout premier enregistrement réalisé : Au Clair de la Lune, par Edouard Scott de Martinville sur son cylindre recouvert de suie en 1860, enregistrement happé puis projeté en fuseau lumineux par Michael Begg. Le sentiment de la modernité survole le paysage nocturne comme une promesse que notre époque n’a pas tenue : peinture et technique, ici du moins, s’engageaient à autre chose que le simple positivisme ; fertilisées par la musique aux brumes délicates de Michael Begg, elles s’unissent pour s’arrimer à des mystères moins contingents mais tout aussi essentiels, tel le lien indéfectible de l’homme à la nuit.

Denis Boyer