Brussel – Delta

brussel_delta

33REVPERMI

33revpermi.free.fr

 

Ils sont deux, Bruno Fleurence (de Soixante Étages) et Hugo Roussel, se sectionnent pour ne plus faire qu’un, prendre ainsi le nom de la capitale de l’Art Nouveau et en fin de compte ne pas se perdre en arabesques. Alors que voir depuis son bow window dans la musique de Brussel ? Des sons de cordes et de vent tout d’abord, et c’est un crépuscule permanent qu’ils soufflent et font lever dans leurs résonances. Pour autant Delta (nom d’une gare ferroviaire de Bruxelles) n’est pas un album de musiques d’inquiétude, ou pas toujours, mais diffuse lentement et tisse tout aussi inlassablement. Jamais, ou si peu, la fracture qui caractérise tant d’improvisations ne vient déchirer la trame. Les six pièces improvisées se déroulent dans le respect mutuel, et dans celui de la nuit aussi. Délicatesse est peut-être le maître mot pour qui veut dire la formule de ce dark ambient sans synthétiseurs. La douce conversation des cordes de guitare et des anches de surpeti (Bruno Fleurence est accordéoniste) évoquent le souffle fredonnant, primordial et proto-mélodique de Steve Roden. Il s’agit d’un folk timide, nocturne et brumeux, un poème musical de la géologie où les reliefs s’extirpent du nuage. Les pièces s’intitulent Combe, Nunatak, Aven… et leurs contours se dessinent par extraction ou par répétition, creux et saillances des cordes et des souffles, érodés et comblés par ce duo qui a choisi par jeu de mots le nom de la capitale du plat pays.

Improvisation alentie, relief dans le continu, voilà deux beaux paradoxes qui nourrissent une singulière approche du bourdon et de l’accident. Au plus clair, la corde joue avec sa tonalité, se laisse frapper de chaîne qui chute telle l’eau, et c’est peut-être le rayon d’harmonie du surpeti qui est l’instrument de cette émotion métallique. Les agitations sont alors timides, à la façon de la réaction chimique des plantes, des roches, la patiente réaction au soleil de printemps. Pour d’autres pièces, plus sombres, plus souterraines, les deux hommes amalgament leurs vibrations qui s’égrènent, tout aussi délicates, mais aveugles dans le terrain qu’elles sillonnent en le nourrissant. Ce lent métabolisme de digestion est un piège à temps, une dissolution de l’attente. Car, qu’il s’agisse d’un imperceptible picking, d’un aller et retour sur la mécanique de la corde, de la fréquence d’harmonique du bourdon gris, du crépitement du terreau ou de l’érosion de la lumière, tout concourt à faire de Delta  un album des plus introspectifs et des plus abrités : la fabrique du son à l’échelle des temps géologiques.

 Denis Boyer