Eyeless In Gaza – Sun Blues

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Ambivalent Scale

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Souvent la musique d’Eyeless In Gaza a témoigné d’une tension entre brume et orage, celle-là l’emportant généralement sur celui-ci au fur et à mesure de la discographie du duo. Pourtant les deux précédents albums, et principalement le dernier, Mania Sour, ont vu s’énergiser les textures, emmagasinant l’électricité au profit d’un relief toujours mesuré entre sons électriques et acoustiques, mélodies et stridences. La voix de Martyn Bates elle-même, une voix capable d’une variété de tonalité et de texture lui permettant de chanter les quatre éléments, peut s’évaporer comme retentir. L’album Sun Blues est un album d’une évidente maturité, je veux dire qu’il profite évidemment des décennies de pratique des musiciens, mais pas seulement. Il se construit sur d’audacieuses mises en opposition et sur leur résolution en équilibre. Seul un univers musical si cohérent dans son déroulement escarpé peut offrir une telle vision. Sun Blues s’ouvre avec Animal Hate sur un point du jour (ce n’est pas le seul qui confonde aube et crépuscule, le morceau Juniper est en ce sens remarquable). Nappe et cuivre, dans quoi se résout périodiquement le chant de Martyn Bates, font le nid lumineux d’autres sons, plus insectoïdes, plus humides également. C’est le soleil incontestablement, dès l’abord, qui, naissant ou s’évanouissant, surplombe le disque. Il sert encore à intituler le deuxième morceau, Solar Logic, il excite jusqu’à l’air vibrant, le vent, et la voix une nouvelle fois porte l’atmosphère autant que celle-ci, une fois amorcée, la mène à son tour. De cette manière, tout l’album est sous le règne de la lumière, bercé dans un exotisme expérimental qui s’illustre tant par la vague tranquille que par la tourmente. Pour l’accompagner, peut-être pour lui tracer la route, la basse de Peter Becker bavarde parfois à la façon plus libre d’une guitare, mêlant les inventivités de Simon Gallup et de Vini Reilly en un seul jeu sans dénaturer pourtant le panorama d’Eyeless In Gaza. Plus loin c’est encore profusion d’instruments, de traitements et d’ambiances dans un monde aux densités, aux luminosités et à la gravité bien dessinées. Il s’agit encore de saluer la forte identité du groupe dans un album qui parcourt des reliefs si équivoques. Le rock comme la musique expérimentale dans plusieurs de ses acceptions (postindustrielle, ambiante, électroacoustique) mais aussi la musique folk pour assurer le socle, résonnent dans les mêmes volutes compliquées, dans le même éclairage orangé. Je crois qu’à la simple écoute du cinquième morceau, Longing Song, il y a, de même que dans les duos de Nick Cave et Warren Ellis, comme l’édition inconsciente d’un manifeste : la chanson nourrie de tant de terreaux puissants et raffinés, parvenue à l’expression pure du clair obscur.

Denis Boyer