Oureboros – Mysterium Tremendum

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Ant-Zen

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Pour qui y a séjourné, le retour à l’obscurité peut s’opérer par de nombreux chemins, pourvu que l’on soit familier de la destination. Cette « connaissance du soir » prend ici des formes musicales qui diffèrent quelque peu de ces autres, plus sûrement industrielles, que modelèrent en 1996 Christina Sealy, Richard Oddie et Aron West sur le premier album d’Orphx, Fragmentation. Pour leur deuxième retrouvaille musicale sous le nom d’Oureboros, Oddie et West réintègrent le rythme, discrètement mais sûrement, une pulsation évoquant tant le bois agité par le vent malicieux que le cœur des âmes archaïques qui habitent le même bois dans les légendes. C’est autour de ce « divin », ou plutôt de ce sacré primordial des espaces naturels que l’album Mysterium Tremendum a été pensé – voire au cœur de ce sacré, au plus profond de son cœur noir. Les morceaux qui le composent ont été improvisés puis montés dans l’esprit d’évocation de lieux particulièrement chargés, selon les musiciens,  de ce sacré obscur : les Highlands écossaises, le désert californien, les forêts de l’Ontario. Il s’en faut pourtant qu’ils s’apparentent à une reconstitution sonore ou à du field recording. On les entendra plutôt comme, dépassant l’illustration, le levain sonore, l’analogue dans l’espace musical, des puissantes émanations nocturnes ou chtoniennes de ces régions. Pulsations donc, et jusqu’à des rythmes martiaux de loin en loin, héritage d’un univers postindustriel de précoce prédilection reconfiguré dans l’humidité de forêts si épaisses que les bêtes peineraient à les traverser. Pulsations d’un fluide noirâtre, qui résonnent intensément dans les caves et chantent jusqu’à la voûte étoilée. Ainsi, les textures synthétiques, d’autres de saxophone ou d’instruments à cordes (celles-ci souvent ajoutées par Norman Shaw, invité comme sur le premier album, Dreaming in Earth, Dissolving in Light), bruissent en une élévation cosmique, parente nocturne des faisceaux de Tangerine Dream, tandis que les clapotements aériens font vibrer jusqu’aux profondeurs de la terre un dark ambient assimilé à la nature inquiétante. Cette musique évoque un temps ou les divinités n’étaient pas bienveillantes, mais simplement puissantes. L’oureboros, serpent légendaire allégorisant la conception cyclique du temps, déroule et frotte ses anneaux dans de vibrants bourdons qui s’effilochent en brume, finissant de troubler les formes que l’obscurité avait commencé d’estomper au profit de la respiration, de la profondeur, de l’écho. Succédant de la sorte à ces vrombissements de savante formule et au fredonnement de métal vaporisé projeté vers le soleil noir, des poches de réverbération mélancoliques de violon, de filage du drone, de dépôt du grain, préparent alors une nouvelle germination de ce son gros, à la faveur de la clarté lunaire.

Denis Boyer