Aria Rostami & Daniel Blomquist – Wandering Eye

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Glacial Movements

www.glacialmovements.com

 

Plutôt que répéter comment deux amis californiens, Aria Rostami et Daniel Blomquist, élaborent et échangent leur musique par des procédés qui sembleront complexes et originaux et que l’on pourra découvrir en détail sur le site du label, je préfère m’attarder sur cette possibilité de créer une telle musique à deux, et sur ses qualités vibratoires, harmoniques et profondément pictogènes. Le piano nous dit-on est à la base de tout, et les traitements qui s’ensuivent participent abondamment à la morphogénèse du paysage musical. Ils dominent l’ensemble de même que la terre couvre la roche, accueille les arbres qui bientôt la hérissent. Mais quand on ne verrait que cet humus, il s’écroulerait, on le sait, si le socle rocheux venait à s’évanouir. Voilà l’effort qu’il faudra fournir si l’on veut deviner la part de chacun : en géologue sonore carotter jusqu’au piano, en promeneur écoutant arpenter les accidents du terrain. Errance musicale de l’œil. À considérer les noms des morceaux, qui sont tous formés de Dome et Ridge, on comprend le goût des deux artistes pour les escarpements, en l’occurrence ceux de l’Antarctique. C’est bien une musique du froid, mais d’un froid qui pétille sous le soleil, qui lui répond par toutes les décompositions de son spectre que la texture lui permet. Quand une telle chimie est à l’œuvre, que les contraires s’apparient si naturellement, c’est la naissance des mirages, des fatae morganae : on jurerait surprendre des mélodies fantômes dans ces lents déploiements d’harmoniques, dans l’écoulement d’une eau encore encombrée de scories glacées, dans le crépitement des cristaux rayonnants. Alors, à la façon d’un corps en formation, les longueurs, les densités, les échos, les arias, les profondeurs bourdonnantes, les boucles, les fausses fragilités d‘un souffle könerien et les fontaines d’harmoniques fenneszienne, se déroulent en un manteau qui bientôt devient la seconde peau d’une banquise fécondée.

La musique est un dialogue entre l’absolu du silence et la mélancolique satisfaction de le faire chanter. Des deux musiciens, aucun n’est, à l’évidence, l’ange du silence, aucun ne peut l’être. Leur musique devient pourtant conversation, même dans cet isolationnisme de la musique polaire : façonnement du piano par les effets mesurés, érosion de la corde par son allongement dans le temps, réverbération dans les lointains infinis de l’étendue glacée, corruption de la vie dans les cantons polaires de l’invivable.

 

Denis Boyer