2kilos&More – Lieux-dits / Gjöll – The Background Static of Perpetual Discontent

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Ant-Zen

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Je crois qu’il ne m’est jamais arrivé de parler de la musique de 2kilos&More sans commencer par souligner sa richesse d’influences et plus encore son impressionnante capacité de synthèse. Ce disque m’oblige à me répéter. Au post rock des premières publications musicales de Hugues Villette (moitié de 2kilos&More) dans le groupe M’Own (vite rebaptisé My Own), s’est ajouté le goût pour l’électronique sous toutes ses formes. Mais plus qu’un ajout, c’est une combinaison, un alliage. Avec Séverine Krouch, autre moitié de 2kilos&More, Hugues Villette n’a donc cessé de redéfinir cet assemblage. Cependant sur Lieux-dits, la tendance n’est pas à l’équilibre des éclairages, mais à la noirceur, à l’épaisseur, à la densité. Le morceau Après tout, ouvrant l’album en presque dix minutes, l’annonce. Il palpite tout d’abord d’un code électronique répétitif, avant de s’élargir au fredonnement mélancolique de la nappe, elle-même vite portée par le grand vent de l’épopée des cordes. La rythmique (batterie et boîte doublée ?), prolonge le souffle en territoire « ant-zenien » sans lui ôter sa brûlure rock (on pense alors à des voisins de label comme Ginormous ou Lowness). Une musique hautement pictogène, une musique de survol qui pour la suite de l’album préférera l’exploration du sol et de sa dureté, comme avec la voix sur trois morceaux de celui que l’on pourrait considérer comme le troisième membre du groupe, l’Américain Black Sifichi. Cette voix, comme celle d’un Clint Ruin dont les textes seraient affiliés encore et encore à la beat generation, bénéficie d’un accompagnement particulier, des syncopes, des grincements de cordes, une pulsation humide, en mot d’une musique qui lui sert de corps, jusqu’à parfois s’effacer à son profit. C’est le seul reproche que l’on peut adresser à cette nouvelle collaboration (ici sur trois morceaux). Pour les instrumentaux, l’énergie ressentie dès le début se confirme le plus souvent, dans les boucles de chaleur que les trois instruments basse, guitare, batterie font voleter, parfois autour d’un subtil tissage électro. C’est le plus brut sans aucun doute des albums du duo – jusque dans les morceaux de texture comme Presque là, un obsédant arpentage de l’obscurité humide – c’est une expérience montrant leur goût de l’aventure, de la redéfinition permanente, mais peut-être aussi une nouvelle direction plus ostensiblement rock et postindustrielle.

Et sans doute fait-il lire ainsi leur participation pour un morceau (encore en compagnie de Black Sifichi) au plus récent album du duo islandais Gjöll The Background Static of Perpetual Discontent.

La musique de Gjöll, dont la violence industrielle, power electronics et martiale plongeait tant dans le magma que dans la glace qui constituent la géographie de son lieu de création, est ici modulée, hantée, visitée par des ambiances qui l’apaisent, en tout cas sur la majeure partie de l’album. La voix de Jóhann Eirícksson est aussi souvent susurrée dans le noir et l’humide qu’elle est saturée dans la fusion des harmoniques (je pense au deuxième titre, Perpetual Discontent) ; c’est alors qu’elle finit par intégrer les autres saturations, dans une habile manipulation qui en fait un courant d’air chaud comme les autres dans le maelstrom postindustriel, tout en la distinguant par le léger relief qu’elle conserve, celui des mots. Pourtant ceux-ci se concluent vaporisés, n’échappant pas à la température et à la pression. Mais revenons à ce climat que l’on peut qualifier de plus apaisé et qui, en somme, différencie cet album des précédents (le premier, Way Through Zero, étant incontestablement le plus réussi de leurs travaux les plus violents). Pour cela, The Background Static of Perpetual Discontent ne fait pas que redistribuer les équilibres, il revigore l’inventivité du duo, surprend dans les accalmies, dans le vide et l’écho qui sont aménagés pour que les résonances de guitare les arpentent, comme sur By the Harbour. On y entend donc également, et contre toute attente, le duo/trio 2KilosandMore avec Black Sifichi, sur un morceau qui leur ressemble tant que c’est à peine si l’on reconnaît la musique des Islandais. Mais cette expérience, ainsi que les plages les plus étirées, les étendues cinématographiques (quelle histoire peut se dérouler dans cette scène d’usine de No War on My Skin ?) renouvellent totalement la musique de Gjöll, et jusque dans les retours les plus épiques de la fonderie : la violence noise se trouve alors pondérée d’images et de fantômes ambiants, tant et si bien que l’on peut sans peine pour ce métal-là, parler d’alliage.

 

Denis Boyer