Moljebka Pvlse – In Love and Death. You are alone 10’’

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Substantia Innominata

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« Dans l’amour et dans la mort on est seul ». Admirable thème d’exploration pour une musique qui a vocation à naviguer dans la zone grise de nos expériences. Toute psychologie se construit sans doute sur cette solitude qui fait de chacun un individu, subjectif, sans cesse mis en demeure de se faire l’artisan de son rapport au monde. Mais si nos pensées ne peuvent nous appartenir qu’en propre, il est bien deux domaines dans lesquels cet isolement se fait plus aigu, plus douloureux certainement : deux expériences limites que sont d’une part l’amour et sa dévastation et d‘autre part, non pas la mort qui est au contraire, pour adopter la terminologie de Georges Bataille, un retour au continu, mais certainement l’approche de la mort. Aussi bien le groupe suédois Moljebka Pvlse contourne cette difficulté (ne pas confondre la mort et le dernier instant, qui appartient encore à la vie), en scindant la proposition en deux parties, deux faces d’un bel EP 25 cm publié par Drone Records dans sa série Substantia Innominata. La première, In Love and Death, abouche donc une nouvelle fois le couple Eros/thanatos, mystère des deux extrémités de l’existence : « Nul ne voit la scène qui le fit. Nul ne voit la scène qui le défera » écrit Pascal Quignard, également imprégné de la pensée de Bataille. Cette pièce s’écoule comme un calme fleuve de spleen, charriant ses harmoniques comme les reflets du ciel chargé d’humeurs obscures. Un flot d’émotion sans alluvions sentimentales se dessine en rubans, à peine mobile dans la lente coulée des traitements de cordes, de synthétiseurs et de field recordings, atteignant l’illusion de fixité d’un vrombissement d’orgue suspendu. Illusion à peine réfutée par le léger tremblement qui ride sa surface. La grâce illumine de son soleil noir cet inexorable fuite comme le sourire du mélancolique. Les échos de voix qui se superposent au faisceau d’harmoniques en fin de pièce ne peuvent alors que résonner comme un hymne à la nuit, un dernier chant du monde. À ce point de l’expérience, seule la solitude extrême définit le rapport à ce monde. La pièce de face B, You are alone, l’illustre dans un paradoxal mais salvateur surcroît de lumière. Une vibration de basse, en légère distorsion, verse son reflet dans un frisson de clarté plus aiguë. L’épanchement se double ainsi en un dialogue intérieur, peut-être le regard que l’on plonge dans sa propre pensée, interlocuteur imaginaire de toute méditation. Toujours est-il que cette pièce est plus voyageuse que la première, irrémédiablement mais lentement menée par les séduisants effrois. La solitude, selon Moljebka Pvlse, se parcourt avec plus de détermination ; d’un dark ambient magnifiquement affligé on parvient ensuite à un « twillight ambient » encore fécond des lumières de l’après-midi : les résonances métalliques du soleil et le répons des grillons persistent à l’oreille car, avant la nuit – les sons de vent et d’orage la promettent sans repos – on tire encore profit des chaleurs du jour.

Denis Boyer