V.A. – Drone-Mind / Mind-Drone vol. 4

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Drone Records

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La série Drone-Mind / Mind-Drone de Drone Records poursuit le même but que celle des cent 7’’ que le label a publiés sur plusieurs années : constituer un catalogue ouvert des immenses possibilités d’exécution d’une musique bourdonnante postindustrielle. À ceux qu’un genre de musique prenant naissance dans la texture fait irrémédiablement penser à la simple répétition, cette collection tisse pour les contredire un canevas bigarré. Quand les 7’’ étaient consacrés à un seul artiste (confirmé ou à découvrir), les LP de la série Drone-Mind / Mind-Drone présentent chaque fois quatre musiciens. Ce volume 4 poursuit l’exploration de « l’esprit » par la voie du « bourdon ». La première face est habitée tout d’abord par Kirill Platonkin, de Russie où la scène drone est très active. Sa musique, quoique se déployant autour du gris, est très émotive, et peut-être en raison de cela semble-t-elle en constant envol, se déployant autant à la façon d’ailes que d’une corolle. Curieusement, c’est la prérogative de ces musiques qui arrêtent le temps, ce déploiement paraît sans fin. Plutôt : le voyage du bourdon granuleux est sa propre fin. Les changements tonals figurent alors d’insensibles modifications d’altitude auxquelles l’auditeur attentif accorde inconsciemment sa respiration. Le peu de lumière, comme dans une aurore perpétuelle, prépare l’oreille à la pièce de Jérémie Mathes, qui complète la première face. À la suite de tentatives fameuses, comme celles d’Einstuerzende Neubauten, Michael Northam, Toy Bizarre…, il a enregistré des sons captés dans un réservoir métallique vide. Ces field recordings ont servi de base à sa pièce que l’on devine sombre, résonante mais aussi, et c’est plus curieux, aérienne, en ce sens qu’elle est traversée d’un souffle puissant et modulé qui gonfle certaines fréquences, alors qu’il en effiloche d’autres. C’est un élément de grande élégance, en même temps que le révélateur de la pièce, qui la libère d’un environnement clos dans quoi elle aurait pu sombrer.

Puisque tout ici est affaire de métamorphose, de passage, comme pour la réactualisation perpétuelle des puissances mythologiques, on ne s’étonnera pas de découvrir la longue pièce ouvrant la seconde face, œuvre du musicien et anthropologue portugais Iliou Persis, qui construit sa symbolique sur la puissance chamanique des masques. On sait depuis Caillois que les trois fonctions du masque sont superposables aux trois fonctions du mimétisme animal : camouflage, travesti, intimidation. Ces deux dernières inspirent ensemble le musicien qui se projette revêtu d’un masque d’animal, laissant le caractère de celui-ci investir sa propre psychologie. La pièce est de facture assez classique, mêlant percussions rituelles et échos métalliques, fuites synthétiques et boucles analogiques. C’est effectivement une pièce de passage, une musique onirique où l’esprit se dépossède, sinon de ses repères musicaux, d’un rapport au temps trop direct. Les grondements lointains, figurant sans doute l’animal du masque, terminent de colorer la pièce d’une brumeuse luxuriance. Enfin, plus calme, autrement organique, la musique du Pakistanais Roman Kharkovsky est essentiellement nocturne. Mais si elle est plus étirée, presque exempte de pulsation, elle n’est pas étrangère au rythme du corps, celui qui dort et navigue pour l’instant dans le trouble du ciel nocturne, les décors intérieur et l’extérieur du rêveur se confondant pour le voyage sonore. Portée par le vent, happée par la Mer Noire, cette musique se veut errance sur les rives d’une rivière d’Ukraine. Le souffle de la nuit, les vagues synthétiques et tout aussi nocturnes qui enrubannent le ciel laiteux d’étoiles, cela constitue pour conclure ce volume 4, l’apparition d’une des figures du drone les plus rarement représentées sur le label, celle fidèle et héritière de la musique cosmique.

Denis Boyer