Human Greed I Michael Begg – Hivernant

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Il ne faut pas s’étonner que Hivernant, nouvel album de Human Greed (encore une fois réduit au seul Michael Begg), débute dans le chant des oiseaux. La musique de Human Greed s’épanouit au seuil de la nuit, de l’hiver ou de toute autre zone d’obscurité, comme œuvre de passage, un lieu sonore où s’étirent le temps, les soupirs, générant un éternel crépuscule. À cette extrémité, les oiseaux chantent donc, célèbrent le jour déclinant ou la nuit naissante. Ils ouvrent la voie au songe d’une nuit – d’hiver – qui s’éternisera aussi merveilleusement que lorsque les êtres féériques jouent avec la mémoire et les sentiments. C’est ainsi également qu’Emily Dickinson arrête le temps en quatre vers (Too happy Time dissolves itself / And leaves no remnant by – / ‘Tis Anguish not a Feather hath / Or too much weight to fly)[1]. Quand la vague du savant tissage de Michael Begg se déploie, elle s’élève et se repose en douce cadence, à la façon dont le vent chaleureusement fait onduler les blés. Deux bourdons, l’un de sol, l’autre de ciel, figurent le panorama dans lequel l’auditeur devient arpenteur, patient marcheur d’un paysage en pente douce. Champs, puis herbages se dessinent, prennent corps dans les deux fuseaux d’harmoniques. Le piano y pleut, en notes économes, nimbant d’un peu plus de mélancolie ce paysage sonore qui refuse de s’abandonner totalement à l’abstraction, de s’ouvrir totalement à la figuration. Les deux figures tutélaires d’Arvo Pärt et Alfred Schnittke sont louées en hommage sur deux titres de l’album ; cela s’entend dans le mysticisme sombre et le pastoralisme automnal qui habitent la musique de Human Greed depuis au moins cinq albums. Celui-ci particulièrement, le plus minimaliste indéniablement, prend à sa charge la polysémie du mot souffle. Un supplément d’âme pénètre en chaque lieu, jusqu’aux plus froids et aux plus fragiles des recoins de cette musique où les vibrations de cordes se perdent comme la palpitation de l’oiseau dans le vent glacé. Dans le même temps, un faisceau lumineux, d’harmoniques, semble venir du plus profond de la cathédrale que Michael Begg avait explorée en compagnie de Colin Potter (Fragile Pitches). Mais ici, c’est le fantôme, le lointain sonore qui ressurgit en écho, souffle d’hiver, souffle de soir, juste avant que les images le cèdent aux rêves.

Denis Boyer

[1] Trop heureux, le Temps se dissout / Sans laisser de trace – / C’est que sans Plumes ou trop lourde / Pour voler est l’angoisse – (Trad. Claire Malroux)