Yui Onodera – Semi Lattice

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Baskaru

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On ne dit peut-être pas assez souvent combien les musiques informelles ont bien plus voir avec l’architecture que d’autres compositions plus attachées à la mélodie et / ou au rythme. Ce paradoxe n’en est pas un : au plus près de la structure, les formes tendent à s’estomper et la première phase d’ajustement laisse simplement apercevoir une texture effilochée ou accidentée. Puis, une fois la nouvelle échelle assimilée, apparaissent d’autres modèles, certains en répercussion fractale de l’extérieur, d’autres plus organiques, sous-tendant l’organisation de la fibre.

L’architecture de l’infime est le domaine de Yui Onodera, dont le cheminement est propre à son exercice, puisant des sons de piano, de guitare, des enregistrements de terrain. Toutes ces matrices sont infiniment vibratoires, et le musicien japonais les organise suivant le flux qu’il imagine à leur déploiement. Au contraire de son compatriote Sawako (ce qui motive le choix de cet exemple est que son magnifique nu.it a également été publié par Baskaru,), la plastique des pièces de Yui Onodera évolue toujours dans une zone de lumière tamisée. Pas d’éclairage franc, mais des crépuscules et des aubes où les ébauches de mélodies, les croissances d’harmoniques se dédoublent de leur ombre, d’un souffle timide semblant nimber la timide circularité des cordes. L’album Semi Lattice est dédié au travail de l’architecte Christopher Alexander, dont la réflexion autour des « pattern theories » (un nombre limité de modèles pouvant se reproduire à plusieurs échelles pour l’amélioration de différents espaces de vie) répond sans doute involontairement à Roger Caillois, sans cesse à la recherche de « l’alphabet de l’univers », et à sa proposition selon laquelle « les moules ou archétypes dont dispose la nature sont en nombre fini » (Méduse et Cie). Application : la musique de Yui Onodera, toute de boucles et de déroulements, fait lever dans ses nappes, ses ondulations, ses bifurcations, ses lumières, ses vents, ses cieux lactés (autant de modèles pour une imagination active de la musique ambiante), un paysage autonome, non pas l’illustration d’un paysage comme la musique à programme en donnerait, mais l’analogue au point de vue de l’onirisme musical d’une élaboration paysagère dans la plus parfaite quiétude. Extrapolation : une telle musique peut devenir à son tour modèle architectural.

Denis Boyer