Birds Build Nests Underground – Night night / Jeck Philip – Sand / Schaefer Janek – Alone at last

Love Nest
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Touch / La Baleine
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Ce n’est pas tant dans l’espoir de promouvoir une édition limitée à 333 exemplaires du vinyle de Birds Build Nest Underground que nous évoquerons Night night, que pour souligner les grandes qualités de la musique du duo tchèque, dont un prochain album doit bientôt être publié. Platines et vinyles préparés constituent le seul arsenal de BBNU. Il ne saurait être question d’instruments, même au sens le plus large du terme, quoi qu’on en dise. Une guitare peut produire mille sons, mais il s’agit toujours de cordes, d’une caisse, d’un manche. Un vinyle est un support pour des sons qui ne sont pas produits par lui, mais soutenus et préexistants. En ce sens, il s’agit bien plus d’une technique de recyclage que d’une instrumentation. Chercher alors à rapprocher le travail de BBNU de celui d’autres manipulateurs de vinyles peut se révéler plus qu’hasardeux. Pourtant, malgré sa singularité, une certaine parenté surgit indéniablement avec au moins deux d’entre eux, Philip Jeck et Janek Schaefer, sachant pourtant que les deux musiciens anglais ont dépassé depuis longtemps l’usage exclusif de la platine. Night night, et bientôt So as, l’album CD de BBNU, montrent une volonté de recycler dans un courant uni, de grain épais, et de rivage escarpé. A l’opposé du plunderphonics et de ses accrocs, leur travail marie des textures concurrentes : voix et craquements, harmoniques d’instruments à cordes et ponctuations rythmiques. Ce n’est pas errance, le but est clair et les sons y figurent comme les acteurs d’une mise en scène tramée ; ils s’acclimatent à une géographie musicale unie. Les boucles plutôt courtes sont capturées et traitées dans ce sens, mettant occasionnellement leur matière en lumière, avec le craquement qui, bientôt séquencé, agit à la manière du click. Il vient rythmer en surface un flux de résonances en échos, des choix de phrases musicales en puissance d’harmoniques, choisies semble-t-il pour leurs qualités mélancoliques. De toutes origines, les sons de cuivres, voix, cordes, et d’autres moins identifiables, marchent dans un théâtre tantôt intimiste tantôt plus épique, qui réalise souvent la possibilité mélodique annoncée par les aînés anglais. Pour Philip Jeck par exemple, il existe de nombreux points de similitude entre son récent album Sand et les disques de BBNU. L’humidité et la résonance d’abord, comme si le drone fabriqué hors du sillon s’écoulait verticalement de quelque concrétion en plafond de grotte. Le sillon craque encore, ajoutant son image au tableau de minéralisation. Merveille souterraine, chaque éclairage fait briller et réverbérer les facettes de précipitations cristallines, le drone sinusoïdal s’assemblant en tapis d’ocre. Il tinte, tintinnabule, remonte en surface et s’accorde aux élégies de clochers, d’orgues. En chaque endroit du disque, minéral et mélodie se complètent, parfois en déséquilibre, mais jamais en rivalité. La plus belle lumière sort encore de l’abstraction, du tas informe de sable. Souvent plus linéaire et plus fluide que celle BBNU, la musique de Philip Jeck ne mérite pourtant pas toujours le qualificatif d’ambiante. Elle semble encore trop mouvementée. Cette position de passage est également tenue par son « disciple » Janek Schaefer, dont une anthologie vient d’être publiée récemment par le label portugais Sirr. Réunissant exclusivement des morceaux apparus sur des compilations, Alone at last est une migration dans la déjà riche histoire musicale de Janek Schaefer. Du plus ancien au plus récent, les morceaux montrent une différence dans la composition ; de plus expérimentale au début – dans le sens artisanal du terme –, elle va s’apaisant avec les années. Et quels que soient les équilibres entre le craquement, l’incrustation réaliste, et le drone, ils ont en commun de fonctionner à la manière d’une histoire, dont le dénouement est presque chaque fois identique : c’est l’épiphanie lumineuse, qui parfois s’allonge sur une dizaine de minutes. Cet état de grâce, comme chez Philip Jeck, est porteur de mélodie, rarement exprimée, on la devine et on la fredonne avant qu’elle ne prenne corps – elle reste le plus souvent à l’état d’ectoplasme. Bouillon fertile (il lui arrive d’être moins efficace sur une ou deux pièces), la musique de Schaefer s’assemble de mille gestes et appâte l’imagination en belle construction symbolique. A lire ces courtes descriptions, on mesure les différences de relief dans un terrain de même nature, allongée et mélancolique. Pour les aînés Jeck et Schaefer, le poli de l’abstraction et de la nappe lumineuse n’est nullement à considérer comme une materia prima qui n’aurait pas encore été entamée, mais au contraire comme une surface qui a subi le lissage d’une patiente érosion. A côté des vinyles préparés, des platines mutantes, Jeck et Schaefer ont intégré claviers, samples, boucles, qui aident à allonger cette ligne qui s’allonge à l’infini en amoindrissant l’évidence mélodique, partant plus désirable. La jeunesse de BBNU leur fait préférer les escarpements qui n’ont sont pas moins beaux. Savoir si réellement l’atténuation sera affaire de maturation est à vérifier. Quoi qu’il en soit, leur exercice attire déjà autant d’épanchements.

D.B.

2008-09-15