Lusine icl – Language barrier

Hymen
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C’est un signe de maturité de pratiquer l’ascèse, de laisser avant le voyage ses bagages les plus pesants. Jeff McIlwain alias Lusine icl a composé durant des années une musique électronique croisant idm, lounge music, ambient urbain. Rythmes et rutilances empruntés au jazz, à l’électro et au break hop ont cadencé jusqu’à maintenant ses morceaux élégants, tableaux musicaux idéaux d’une architecture urbaine qui, elle, ne peut plus être idéale que dans l’utopie. Musique de rêve donc, accrochée à l’époque et basée dans le solide sillage des expériences rassemblées par Warp dans les années 90. Il faut, pour de tels paysages, apprendre à observer les angles, à flotter dans les courants aériens qui permettent le panorama global, à chevaucher de virtuels courants bleu acier. Ce sont ceux-là, ses véhicules les plus aériens, que Lusine icl favorise aujourd’hui : sa face la plus ambiante. Oui, mais elle fourmille encore d’une vie de crépitements, de percussions, d’ébauches mélodiques. Le bouillonnement musical, dans l’acception classique du terme, est toujours le bain privilégié de Lusine icl, qui le couvre désormais de légèreté. Vagues synthétiques, samples de cordes, field recordings urbains ou indéchiffrables, pianos, tous évoluent dans la vague bleutée qui les maintient comme en apesanteur, juste avant que le soleil déclinant ne rosisse le ciel. Les perspectives et les ombres ont déjà changé, qui allongent les vibrations, les agrégats d’harmoniques (cordes, fragments de voix) ondulant en boucle avant de varier d’un ton, de s’abîmer dans la tristesse qu’ils ont préparée. Comme Fennesz et M. Akiyama, McIlwain concentre les rayons lumineux des cordes et observe les cristallisations, les accidents numériques qu’elles produisent merveilleusement. Comme Durutti Column, il trouve l’arpège de guitare qui se confond avec l’herbe folle. Comme les planants cosmiques, il chevauche la vague synthétique qui montre encore les gestes humains sur le clavier. Son art réside dans l’accommodation minimaliste de ces tendances les unes aux autres, le greffe, la fusion dans une musique réellement ambiante, au seuil du crépuscule, chargée des images du jour pour la gestation de la mélancolie. Différence de lieu, de méthode, mais il semble que Jeff McIlwain soit maintenant très proche d’Andrey Kiritchenko. D.B.

D.B.